Raphaël Arilla, 7º dan ACAE.
Le KI
Tout ce qui suit sur le Ki est fruit de l'enseignement de
KITAURA SENSEÏ.
Le Ki ?
Pour certains, le Ki n'existe pas, ou ils ne veulent pas en
entendre parler ; pour d'autres, il est mystique, magique et ils lui confèrent des
pouvoirs surhumains, surnaturels. Enfin pour le plus grand nombre, après des
années de pratique, ils l'utilisent sans vraiment en être conscients et n'en
exploitent donc pas tout son potentiel.
Le Ki ne peut pas se définir de façon exhaustive : énergie
vitale, instinct de survie ...
Mais on peut distinguer deux types de Ki :
- le Ki atmosphérique, ayant trait au pragmatisme et
au matérialisme. Externe, il est perçu et géré par nos sens et notre cerveau
analytique, lui même modelé par notre culture, notre vécu, et tout ce qui fait
notre personnalité.
Et celui qui nous intéresse dans l'aïkido,
- le Ki souterrain, ayant trait à notre intériorité, perçu
et géré par notre Hara. Interne, il est commun à tous, libre de toute attache
culturelle, intellectuelle et sentimentale, ce qui lui permet de gérer les
relations de la façon la plus limpide et pleine qui soit.
Seuls les Hara peuvent s'harmoniser, s'identifier, fusionner
de Hara à Hara par l'intermédiaire du Ki, de façon naturelle et radicale.
Le Ki en Aïkido ?
Ki : il est le produit de notre Hara, autrement dit, un flux
d'énergie qui est l'expansion de notre Hara.
Kikai Tanden : océan de Ki contenu dans le Hara.
Hara : il se situe dans l'abdomen, sous le nombril, et, il
est le lieu où corps et esprit s'harmonisent.
Le corps a des limites spatiales et physiques, à contrario,
la pensée est très expansive et volatile, les deux doivent se compléter. Le
mental par l'intermédiaire du Hara permet au corps de dépasser ses limites, le
corps, par l'intermédiaire du Hara, donne une perception plus concrète et un
ancrage à la volatilité du mental, les deux ne faisant plus qu'un dans notre
Hara.
Kokyu : Expansion du Hara, respiration du Hara avec
circulation de Ki, dans les deux sens.
Kimusubi : nœud de Ki entre uke et tori à travers leurs Hara
respectifs.
L'aïkido consiste à résoudre le conflit par l'harmonisation
des Ki, et l'acceptation de l'attaque, en se situant au sein même de celle-ci,
afin de construire la relation, non pas de l'extérieur mais de l'intérieur.
On peut définir le Ki en disant que toute action, aussi bien
une attaque, qu'une technique d'aïkido impliquant le corps et le mental, unis
dans une même action énergique, est un courant ou faisceau d’énergie appelé Ki.
Cette énergie émane de notre Hara, car, lui seul peut contenir, l’union du
corps et du mental. Avec cette harmonisation profonde de tout notre être, la
relation, qui s’établit entre deux pratiquants, dépassant la simple relation
physique des corps-objets, impliquera plutôt une relation plus intime de centre
à centre. Tori devra, pour s’harmoniser avec son partenaire, répondre à partir
de son Hara ; il s’établit ainsi une communication, une identification qui
permet l'intégration de l’énergie de uke par le Hara de tori ce qui minimise la
dualité. Cette unification de Ki par le Hara doit être directe, sans obstacle
physique ou psychique, et une fois le flux de Ki de uke intégré dans le Hara de
tori, tori devient le noyau dynamique de l’action.
Cela peut paraître complexe, mais il n'en n'est rien. Plus
nous laisserons agir notre Hara, par un lâcher prise, un dépouillement, et plus
cela sera évident.
Il n'y a là rien de mystique ou de surnaturel, c'est
accessible à tous. Le concept de Hara et sa ligne de KI permettent
d'appréhender les relations sans objectiver, sans opposition, sans obstacle
mental ou corporel, afin d'accepter, de façon directe et active, l'attaque.
Ne pas s'opposer à une attaque est le meilleur moyen pour
résoudre le conflit.
Comment pratiquer l'aïkido, au sens propre du terme, alors
que, de prime abord, tout nous oppose, du fait de notre nature ?
- Notre corps matière, qui, malgré sa capacité à se mouvoir
avec beaucoup de souplesse et d'aisance, reste néanmoins un solide fait de
chair et d'os, ne peut donc pas fusionner avec un autre solide. Deux objets ne
pouvant pas occuper le même espace, l'harmonisation ne se ferait que de façon
extérieure et fragile, comme deux objets côte à côte.
- La vue, instinctivement, nous sépare du sujet que nous
regardons, en mettant et évaluant une distance, elle peut également nous rendre
tributaire du sujet que l'on fixe.
- La pensée nous oppose et nous sépare par notre façon
d'utiliser notre mental et notre intellect. Nous concevons l'environnement par
des filtres et des préjugés qui sont propres à notre éducation, notre vécu...
On se fait une idée de la relation mais une idée n'est pas
la réalité.
Il nous faut donc envisager leur utilisation dans une autre
approche qui unit au lieu de nous opposer, sans quoi notre activité ne serait,
ni plus ni moins, une forme de self défense où le conflit serait résolu par une
supériorité physique ou technique, et non pas, par l'harmonisation radicale, et
l'unification des ki. Sans cette recherche d'harmonisation profonde, l'aïkido
se convertirait en un art externe comme le sport, basé uniquement sur le
physique et sur la technique.
La technique, sans la recherche d'unification des ki, n’est
que gesticulation esthétique, même exécutée, par un très grand technicien.
Comment ne pas entrer en conflit ?
Sans une démarche qui consiste à s'observer, à prendre
vraiment conscience de notre nature, de notre mode de fonctionnement qui nous
limite et nous sépare, il sera difficile de franchir le cap pour passer à une
communication de Hara à Hara. Ce type de communication est plus naturel car le
Hara, ne changeant pas la nature de la relation, perçoit la réalité telle
qu'elle est, sans peur ni préjugés.
Ne laissons pas à nos sentiments, ( Ki atmosphérique, extérieur
), nos luttes internes, nos peurs de perdre ou notre volonté de vaincre, le
soin de gérer l'attaque car cette projection ne serait pas en mesure de la
pacifier.
Mais c'est par l'affirmation de notre Hara ( Ki
souterrain, interne ), notre harmonisation du corps et de l'esprit, notre paix
intérieure, reflétés sur notre partenaire, qu'adviendra la résolution du
conflit.
KITAURA Senseï dit que c'est un état proche de la
méditation, non pas passive ou contemplative, mais une méditation active.
Plus concrètement à quoi correspond la ligne de Ki ?
On peut par exemple, travailler cette perception au bokken,
en adoptant la posture de Hanmi qui unifie le corps entier dans une direction,
sans être cloué au sol, ou, à l'inverse trop flottant. Les épaules basses, les
mains saisissant le bokken avec souplesse et flexibilité, aucune crispation
dans le corps, la tête droite, champ visuel au maximum, une légère tension de
l'abdomen unifiant le corps. Dans cette position de garde, vous devez également
ne faire qu'un avec votre bokken. Inutile de serrer plus fort, vous obtiendriez
l'effet inverse. Le relâcher mollement, n'est pas non plus la solution. Mais
si, mentalement, vous projetez votre intention-énergie, sur le dernier tiers de
la lame, sans contraction musculaire, mais plutôt dans une extension, alors on
peut obtenir une unité entre deux solides, le corps d'une part et le bokken. Si
mentalement, on a eu la capacité de mettre l'intensité au bout de la lame par
cette expansion du corps et du mental dans une même action, que l'on peut
appeler "expansion de Ki" intégrant le bokken dans son faisceau, on
peut donc dire que le Ki a servi de liant pour que le corps et le bokken
fassent partie d'un tout.
Mais d'où s'est manifesté le Ki ?
De votre pensée uniquement ? Non car elle est trop volatile
(je n'ai jamais réussi à tordre les petites cuillères ou à faire chuter
uniquement par la pensée).
De votre corps ? Non plus, car comme dit plus haut, il reste
un solide et en tant que tel il ne peut pas, par de simples contractions
musculaires, créer une unité. La preuve est que, plus le maintien du bokken est
serré, plus cela témoigne que l'objet saisi ne fait pas partie de votre tout,
et souligne la crainte de le perdre.
Le Ki est l'union du corps et de l'esprit dans votre Hara,
et ce qui a saisi le bokken, c'est cette unité corps et esprit, dans une même
action qui est l'expansion de votre Hara ou kokyu.
Alors pas de raison de se limiter.....
Cette unité, qui a pu se réaliser entre le bokken et votre
corps, par l'intermédiaire du Hara et de sa ligne de Ki, intégrant le bokken
dans son flux, peut être faite entre tori et uke, plus précisément entre les
deux Hara, par l'unification des Ki.
Descriptif simple du mode opératoire de toute technique
d'Aikido.
Tori se connecte au Hara de uke, en comblant la distance qui
les sépare, par l'expansion de son Hara et de sa ligne de KI, seule connexion
radicale possible. Dans cette attitude, toute intervention de la réflexion, du
calcul ou toute autre approche objectivante comme la vue ou la force physique,
empêcheraient cette radicale identification.
Le Hara et son expansion de KI, toute posture et déplacement
sont soumis à cette logique dont le Hara est le protagoniste de l'action. Il
faut donc lui laisser la meilleure place, et rien ne doit être un obstacle au
captage radical par la fusion de la ligne de KI du partenaire : ni notre corps,
ni notre façon de penser, ni même la vue ne doivent interférer. Tout ce qui
objective doit être petit à petit, éliminer. Pour cela, il faut entrer en soi,
au plus profond de notre intériorité, là où se trouve notre vraie nature, la
vraie Vie, et de là, s'immerger dans le Hara de uke, pour établir un lien
direct et construire la relation à partir de l'intérieur de l'attaquant.
1) Les fractions de secondes avant l'attaque.
Uke est à l'origine de l'attaque, et peu importe qu'il
s'agisse d'une saisie ou d'une frappe, toutes les techniques sont élaborées
avec la même base, c'est à dire l'harmonisation des Ki. Aussi tori ne doit rien
imposer, mais au contraire, il respecte et accepte à partir de son Hara,
l'attaque de uke.
Tout se détermine dans ces secondes pour réaliser
l'unification des Ki.
L'harmonisation se fait avant même que le processus de
l'attaque soit envisagé.
Par la disponibilité et l'ouverture d'esprit de tori se
créent une relation de lecture et une perception directe sans opposition, mais,
plus encore, son Hara a la capacité de se loger au cœur de l'action à naître,
de manière à impulser l'attaque de l'intérieur, quand celle-ci sera déclenchée.
Et pour ainsi, construire de l'intérieur, une union dont il devient celui qui
organise, et dans laquelle le conflit n'existe pas.
Le meilleur moyen de ne pas être un obstacle ou une cible,
c'est de se situer à l'intérieur de l'attaque.
2) Pendant l'attaque et durant la technique
Une fois l'attaque lancée...
En étant connecté par l'intermédiaire de son Hara, l'attaqué
conduit l'action, non pas de l'extérieur mais impulse, bel et bien, de
l'intérieur-même de l'attaquant, de là où celui-ci fait partir l'attaque, c'est
à dire de son Hara, il s'est donc établi une connexion de Hara à Hara, sans
aucune opposition, psychique ou physique.
Cet état de plénitude et de communion permet de ne pas être
en réaction, et de ne pas dépendre de l'attaque car, logé au cœur même de
l'action, tori est celui qui guide et construit de l'intérieur. Et du statut de
victime, il devient le noyau dynamique de l'action, ne faisant plus qu'un avec
l'attaquant. Il convient maintenant de garder, au sein du noyau dynamique de
tori qu'est son Hara, cette unité intrinsèque jusqu'à la fin de la technique.
L'attaquant n'est plus.
3) Fin de la technique.
Une projection ou une immobilisation est l'affirmation du
Hara de tori, intégrant celui de uke.
( Tori, par le simple fait de vouloir projeter son
partenaire, recréerait une situation de conflit et donc la séparation des Hara
). L'objectif final n'est pas de gérer le corps de uke, mais son centre
dynamique. Ce n'est donc pas le corps de uke que tori doit projeter, mais
plutôt son flux de Ki. Et c'est, dans cette projection de Ki, sans lutte, ni
chaos, que le corps de uke se détachera avant même la fin complète de cette
expansion. Dans cette attitude solide et ferme, un monde nouveau, de paix, s'est
créé, l'attitude zanshin peut naître.
Pour une immobilisation, il en va de même. C'est en
affirmant cette unité, au sein même de son Hara, que tori amène uke au sol, en
maintenant fermement, non pas son corps, mais son potentiel énergétique. Ainsi
uke n'a pas d'autre choix que de suivre.
En conclusion :
Malgré les apparences, nous sommes trop axés sur nous-mêmes.
La vue, la pensée et le corps nous cloisonnent. Seul le Hara
est universel et commun à tous et, par son intermédiaire, nous ouvre au monde
extérieur, neuf à chaque instant. Par cette connexion radicale avec le
monde extérieur, une communication de cœur à cœur s'établit, la réalité nous
est offerte.
Rien de magique ou de surnaturel, il suffit d'établir une
relation directe à partir de votre Hara.
Si votre Hara a la capacité d'être dans le centre de uke
pour s'harmoniser et conduire de l'intérieur, il n'y a plus d'opposition, plus
d'esquive, plus de distance qui nous séparent ! Qui dit : pas de distance à
parcourir ! Pas de timing. Qui dit : pas de timing ! Plus besoin de
s'adapter...
Alors ainsi, les choses sont plus simples.
Une fois les techniques plus ou moins acquises, on doit
passer à l'étape suivante qui consiste à mettre son esprit ou son mental dans
un état d'ouverture proche de la méditation.
C'est à la portée de tous, car nous avons en nous ce
potentiel qu'il faut laisser éclore.
Ne changez rien à vos techniques. Juste par l'ajout des
concepts de Hara et sa ligne de Ki, elles prendront une meilleure
signification, et vous découvrirez un potentiel d'enrichissement personnel
énorme.
On peut donc dire que le partenaire et vous-même
disparaissez au profit de l'unité des Ki. Bien sûr, l'Aïkido reste une activité
éminemment physique et martiale, mais ce qui doit prédominer, c'est la
résolution des conflits par l'harmonisation des Ki.
Tous les principes comme : AÏ - MA AÏ - KOKYU - KI MUSUBI -
IRIMI - IRIMI TENKAN - CENTRAGE - KIKAI TANDEN ... prennent une toute autre
dimension à la lumière du concept de Hara et sa ligne de Ki.
Les mots ne peuvent refléter que partiellement une idée,
seule la pratique permet de vivre plus profondément ce concept.
J’invite, tous ceux qui se posent des questions sur le Ki en
AIKIDO à se rapprocher de
Shihan KITAURA, 8 ème Dan, délégué de l'Aïkikaï pour
l'Espagne, élève direct de O Senseï et de son fils Doshu KISSHOMARU.
Son enseignement est basé sur ce principe d’unification de
ki, plus précisément de kimusubi (nœud de ki).
Élève de KITAURA Senseï